Dans l’article d’aujourd’hui, nous vous proposons une interview de Susana Rodríguez López, psychologue en santé. Pour Susana, également connue sous le profil @susanarl.psico, les jeux de société sont un pilier fondamental dans le développement de ses thérapies. Vous voulez voir de quelle manière elle les met en œuvre dans ses interventions ? Restez avec nous, car elle a beaucoup à nous raconter à ce sujet.
1- Parle-nous de toi. Qui se cache derrière @susanarl.psico ? Que fais-tu dans la vie ?
Derrière @susanarl.psico, c’est moi, Susana. Je suis psychologue en santé et je travaille avec la population enfant-ado. J’ai toujours beaucoup aimé les enfants et, après les stages que j’ai effectués pendant mes études, j’ai découvert le monde merveilleux de la neurodivergence et j’ai compris que mon avenir ne pouvait être autre que celui-ci.
Tout au long de mon parcours, j’ai pu travailler avec différents profils d’enfants et leurs familles, en tirant la conclusion qu’ils ont tous un même besoin : celui de se comprendre et d’être compris. C’est l’un de mes principaux objectifs dans le travail avec eux, toujours en les accompagnant avec respect et affection.
Un autre des grands piliers de mes interventions sont les jeux de société. J’ai eu la chance de travailler pendant plusieurs années aux côtés de professionnels qui m’ont transmis cette méthode de travail et m’ont montré l’infinité des bienfaits que les jeux apportent. Il n’y a pas si longtemps, j’ai fait un changement professionnel et j’ai rejoint une nouvelle équipe, Metamorfosis, qui partage mes valeurs quant aux interventions et au rôle si important que jouent les jeux de société dans celles-ci. Dans notre équipe, nous utilisons les jeux comme outil principal dans les thérapies et nous en voyons les résultats chaque jour.
2- Comment utilises-tu les jeux de société pour travailler les habiletés cognitives ? Quels bénéfices apportent-ils ?
Tout d’abord, je pense aux objectifs que je souhaite travailler avec l’enfant et, en fonction de cela, je choisis certains jeux. Par exemple, si je veux renforcer l’attention, je choisirai peut-être Galletas ou Draftosaurus ; si je veux travailler le contrôle inhibiteur, je choisirai sans aucun doute Jungle Speed ou Fantasma Blitz ; ou si je veux travailler la mémoire, j’utiliserai Deja Vu ou Abejitas Zum Zum. Et ainsi de suite pour d’autres habiletés cognitives comme la planification, l’organisation, le raisonnement, la résolution de conflits ou la vitesse de traitement. L’avantage, c’est que les jeux sont un outil ludique et adaptable à différents âges et contextes. De plus, les jeux ne sont généralement pas perçus comme une “tâche” et attirent facilement l’attention des enfants, qui apprennent sans s’en rendre compte.
Après chaque jeu, j’aime inclure un espace de réflexion dans mes interventions, en posant des questions sur les difficultés rencontrées pendant le jeu ou en les invitant à imaginer des alternatives de jeu, stimulant ainsi leur créativité.
Quant aux bénéfices, ils sont nombreux : ils stimulent les fonctions exécutives (planification, inhibition, prise de décisions), améliorent l’attention et la concentration, renforcent la mémoire de travail, encouragent la pensée logique et abstraite, développent les habiletés linguistiques et narratives, et favorisent la flexibilité cognitive et l’adaptation au changement, entre autres.
3- Penses-tu que les jeux de société peuvent être un outil efficace pour renforcer les liens familiaux et améliorer la communication à la maison ?
Bien sûr. Les jeux créent un espace sûr et, généralement, sans distractions, qui aide à favoriser un temps de qualité partagé. De cette façon, ils créent des souvenirs significatifs et positifs qui enrichissent le développement émotionnel. De même, les jeux créent des espaces de dialogue, où l’on peut parler, négocier, expliquer les règles ou raconter des histoires de manière plus détendue et ouverte que dans le quotidien. Dans ce sens, une conversation ou une anecdote liée au jeu peut parfois mener à des histoires personnelles, des souvenirs ou des opinions qui ne surgiraient pas autrement, favorisant aussi l’expression émotionnelle. Même dans des situations de conflit familial, le jeu agit un peu comme un “pont émotionnel” en réduisant les tensions. Un autre aspect important est que les jeux encouragent la coopération et l’empathie, permettant de travailler l’importance du soutien mutuel et du travail en équipe dans le contexte familial.
4- Comment impliques-tu les familles dans le processus thérapeutique à travers les jeux de société ?
Je discute constamment avec les familles des activités que nous faisons en consultation et de l’utilité de chacune d’elles pour leurs enfants. Avec les jeux, c’est la même chose : je leur parle souvent des bénéfices qu’ils apportent à leurs enfants. Je leur recommande aussi différents jeux pour qu’ils puissent profiter de cet outil à la maison et ainsi compléter l’intervention, en renforçant les compétences travaillées en séance et en partageant du temps de qualité en famille.
5- En dehors des compétences cognitives, vois-tu d’autres avantages dans l’usage des jeux de société ?
Beaucoup d’autres, et d’une importance vitale. Pour moi, les bénéfices principaux concernent les compétences socioémotionnelles.
D’un côté, les jeux favorisent l’interaction sociale avec les pairs, en développant dans le contexte du jeu des habiletés comme la coopération, l’empathie, l’esprit d’équipe ou le respect des règles et des autres joueurs. Les compétences en communication se développent aussi, car il faut exprimer des idées, négocier, demander de l’aide ou collaborer.
D’un autre côté, le jeu offre de multiples bénéfices sur le plan émotionnel. Jouer implique de gagner et de perdre, ce qui stimule l’autorégulation émotionnelle et oblige les joueurs à apprendre à tolérer la frustration, célébrer ensemble et respecter les tours. Les jeux narratifs ou axés sur les émotions, comme Ikonikus ou Dixit, offrent une opportunité parfaite pour s’exprimer de manière créative, partager des anecdotes ou parler de ses émotions de manière indirecte, facilitant ainsi l’expression émotionnelle.
Je ne peux pas ne pas mentionner les bénéfices au niveau scolaire, car beaucoup de jeux travaillent des compétences comme le langage, les mathématiques, les sciences ou la géographie.
6- Tu travailles avec des enfants avec TSA, TDAH et troubles du comportement. Quel rôle jouent les jeux de société dans l’intervention avec ces profils neurodivergents ?
Avec les TSA, je les utilise principalement pour travailler l’alternance des tours, le suivi des consignes, les habiletés sociales, la tolérance à la frustration et, surtout, l’inflexibilité cognitive. Ce profil est souvent accompagné d’un mal-être face au changement et d’une rigidité cognitive, et dans ce cas les jeux sont un outil idéal, car dans un contexte ludique, on peut ajouter ou modifier des règles pour travailler petit à petit cette inflexibilité.
Avec un profil TDAH, les avantages principaux sont cognitifs, car les fonctions exécutives sont souvent affectées. Les jeux offrent de nombreuses possibilités pour travailler la planification, l’organisation du temps et des ressources, la mémoire de travail, le contrôle inhibiteur et l’attention. Au-delà des bénéfices cognitifs, j’aime aussi renforcer l’estime de soi par le jeu, car ce profil peut être accompagné d’une faible estime de soi, en partie à cause des échecs scolaires. Le jeu crée un espace idéal pour se sentir valorisé et capable après avoir relevé un défi ou motivé après avoir reçu des compliments pour un bon coup.
Avec les enfants et ados présentant des troubles du comportement, les jeux de société favorisent le respect des tours, la coopération, l’écoute active et l’empathie. Ces compétences sont essentielles pour ce profil, qui a souvent des difficultés à interagir de manière adaptée. De même, comme pour les autres profils, ils bénéficient d’un renforcement des compétences de régulation émotionnelle, en travaillant la tolérance à la frustration, la gestion de la colère et le contrôle des impulsions. Pour consolider les comportements adaptatifs et acceptés, le jeu offre un cadre naturel de renforcement positif, où l’on peut récompenser les comportements que l’on souhaite voir répétés au quotidien (suivi des règles, respect des tours…). Je ne peux pas non plus oublier les bénéfices cognitifs, car ces profils améliorent aussi leurs fonctions exécutives pendant le jeu (planification, prise de décision, attention soutenue et mémoire de travail). Et enfin, mais non des moindres, je veux parler du lien thérapeutique. Pour ce profil en particulier, le lien est très, très important, et sans un bon lien, il est impossible d’atteindre les objectifs d’intervention fixés. Avec l’expérience, je peux affirmer que ce qui m’a le plus aidée à me rapprocher de ce profil, ce sont les jeux, car ils leur permettent de se sentir dans un environnement plus sûr et enclins à collaborer.
7- Quels types de jeux utilises-tu pour favoriser l’autorégulation émotionnelle ou l’attention soutenue chez les enfants neurodivergents ?
Pour travailler l’autorégulation émotionnelle, je choisis des jeux qui traitent de l’expression émotionnelle comme Feelinks, Ikonikus ou des jeux du type de celui du Perruco. J’opte aussi pour des jeux qui frustrent par nature, comme ceux qui ont un facteur aléatoire (Isla Calavera, El Rey de los Dados…). Ainsi, je travaille la tolérance à la frustration avec mes petits et mes ados, tout en travaillant l’identification des émotions et des techniques pour les réguler.
En ce qui concerne l’attention soutenue, je choisis des jeux de recherche visuelle d’objets (Spy Guy ou Kaleidos), de mémoire (Deja vu ou Dino Path) ou des jeux de logique (Rush Hour ou IQ Fit), entre autres. Tous ces jeux aident à maintenir l’attention, à filtrer les distractions et à travailler la mémoire de travail, des aspects essentiels pour une attention soutenue.
8- Chez Zacatrus, nous misons sur l’apprentissage basé sur le jeu (ABJ). Vois-tu un lien entre l’ABJ et le développement infantile en utilisant les dynamiques des jeux de société ?
Bien sûr, l’ABJ, lorsqu’il est réalisé avec des jeux de société adaptés à l’âge et au profil de l’enfant, devient un outil puissant. Il ne renforce pas seulement les contenus académiques, mais stimule aussi le développement global de l’enfant dans un environnement ludique, structuré et émotionnellement sûr. Concrètement, il stimule le développement cognitif (raisonnement logique, résolution de problèmes, mémoire, attention et planification), émotionnel (exprimer et réguler les émotions, résilience émotionnelle et tolérance à la frustration), social (communication verbale et non verbale, travail en équipe et négociation, prise de tours et respect des règles) et psychomoteur (motricité fine, coordination œil-main, organisation spatiale et habiletés de suivi visuel).
9- Y a-t-il un jeu que tu considères comme indispensable dans ta pratique, et pourquoi ? Utilises-tu un jeu Zacatrus ?
Il m’est difficile d’en choisir un seul, mais peut-être que Pelusas serait sur le podium pour moi. Pourquoi ? Pour sa polyvalence et toutes les possibilités qu’il offre, car c’est un jeu simple et adaptable. D’un côté, il a ce facteur de hasard qui génère de la frustration, permettant de travailler cela dans le contexte thérapeutique. D’un autre côté, il stimule des compétences cognitives comme l’attention soutenue (pour voler des cartes aux autres joueurs), le contrôle des impulsions et la prise de décision (pour s’arrêter de piocher et ne pas perdre les cartes qu’on a déjà). De plus, il permet de modifier ou d’ajouter des règles, travaillant ainsi la flexibilité cognitive.
Et oui, bien sûr que j’utilise des jeux Zacatrus. Parmi mes préférés : Draftosaurus et Unánimo. Le premier me plaît beaucoup, car en plus d’avoir une esthétique et des composants très attrayants pour les enfants, il travaille de nombreuses compétences : attention, concentration, initiative ou raisonnement logique et mathématique. En plus, comme c’est un jeu de type “draft”, il initie à la stratégie. D’un autre côté, Unánimo me semble être un jeu super amusant à jouer en grand groupe. Je pense que c’est un jeu idéal pour travailler la cohésion de groupe et d’autres habiletés sociales comme l’empathie ou le travail en équipe.