Interview de Brer Ballesteros, directeur artistique de Kryptex

Brer director arte Kryptex
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Interview de Brer Ballesteros, directeur artistique de Kryptex

Aujourd’hui, nous interviewons Brer Ballesteros, directeur artistique de Kryptex. Brer est un graphiste, illustrateur et photographe espagnol avec une solide expérience dans le domaine de la communication visuelle et des jeux de société. En plus d’être responsable de la direction artistique de Kryptex, Brer est cofondateur, avec Cere Venteo, de l’éditeur indépendant Cerebrer Games, où il a développé des titres qui se distinguent par leur humour irrévérencieux et leurs thématiques peu conventionnelles, comme ¡Arre Unicornio! et Bizarre Bid. Voici ce qu’il nous a raconté :

1- Pour commencer, parle-nous un peu de toi.

J’ai toujours été attiré par le monde artistique et la curiosité pour ce que je ne connais pas a toujours été une constante dans ma vie. Cette soif d’exploration a été une des raisons qui m’a poussé à fonder une maison d’édition de jeux de société. Je vis à Ciudad Real, une ville où la culture ludique n’est pas encore très développée et les groupes de joueurs sont réduits, mais cela ne m’a pas empêché, avec mon groupe d’amis — tous de grands joueurs —, de passer des week-ends remplis de parties et de plaisir. Je suis passionné par des disciplines très diverses comme la boxe, la céramique, la radio, la musique et les jeux vidéo. Bien que je ne puisse pas consacrer autant de temps au jeu que je le souhaiterais, j’essaie toujours de rester connecté au monde ludique. En ce qui concerne ma formation, j’ai étudié le design graphique puis j’ai fait un master en éducation artistique, après avoir commencé des études en informatique. C’est pourquoi je gère, édite et maquète presque tout ce qui concerne la maison d’édition, prenant en charge la majeure partie du processus créatif et technique de façon indépendante.

2- Comment as-tu commencé dans le design graphique et l’illustration ? Qu’est-ce qui t’a poussé à combiner ces disciplines avec la création de jeux de société ?

J’ai commencé ma carrière en design graphique, porté par une passion naturelle pour l’art et la créativité visuelle. Depuis mon plus jeune âge, j’ai voulu explorer différentes formes d’expression artistique, ce qui m’a amené à étudier le design graphique. Lors de la réalisation de mon mémoire de fin d’études, j’ai décidé de créer un produit complet : j’ai donné vie à ¡Arre Unicornio!, avec toute son identité. J’ai développé la maison d’édition fictive, le jeu, les illustrations, la marque, les réseaux sociaux et le site web. Même si tout cela était un projet académique et fictif, le jeu en lui-même était pleinement jouable et amusant, grâce aux mécaniques apportées par Cere Venteo. Ce qui a commencé comme un simple travail universitaire a fini par prendre vie. Sans le chercher, la communauté des joueurs s’est intéressée à cette nouvelle maison d’édition. Nous avons créé les réseaux sociaux sans grandes prétentions, mais quelqu’un a pensé que c’était réel, et petit à petit, grâce au bouche-à-oreille, la maison d’édition est devenue un projet concret. Six ans plus tard, Arre Unicornio et Bizarre Bid font partie d’un projet réel et solide, que je n’aurais jamais imaginé voir le jour ni vendre même en Amérique Latine.

3- Tu es l’un des fondateurs de Cerebrer Games, avec une approche très provocatrice sur les thèmes de vos jeux. Quel rôle jouent l’humour noir et la critique sociale dans ta façon de concevoir ? Vous explorez des thèmes « inconfortables » (psychiatrie, prisons, trafic d’organes…). Où traces-tu la limite entre satire et polémique ?

 L’humour noir et la critique sociale sont des éléments fondamentaux dans ma manière de concevoir et dans l’identité de Cerebrer Games. Nous aimons utiliser le jeu comme un outil pour provoquer, questionner et faire réfléchir, toujours dans une perspective ludique et accessible. Aborder des thèmes « inconfortables » comme la psychiatrie, les prisons ou le trafic d’organes nous permet d’explorer des territoires peu fréquentés dans le monde des jeux de société, en brisant les schémas traditionnels et en créant un espace pour le dialogue et la critique. Cependant, nous sommes très conscients de la responsabilité que cela implique. Pour nous, la clé est que la satire ait toujours un sens critique et ne tombe pas dans l’insulte ou la banalisation. La limite entre satire et polémique se fait dans le respect des personnes et des expériences réelles, en évitant la cruauté gratuite et en cherchant toujours à ce que l’humour serve à ouvrir des débats plutôt qu’à fermer des portes. En définitive, notre objectif est que les jeux soient amusants et divertissants, mais aussi une plateforme pour réfléchir sur des réalités complexes, toujours avec une touche d’irrévérence qui invite à penser sans perdre l’empathie.

4- Pour Kryptex, tu as travaillé comme directeur artistique. Quels défis et satisfactions as-tu rencontrés en développant l’identité visuelle de Kryptex ?

Travailler comme directeur artistique sur Kryptex a été un défi très stimulant et enrichissant. Le principal challenge a été de créer une identité visuelle qui reflète fidèlement l’essence du jeu : mystère, stratégie et une touche technologique, inspirée par le monde du chiffrement et de la cryptographie. Il était essentiel que le design plonge les joueurs dans une atmosphère d’intrigue et de logique, tout en facilitant la compréhension et la fluidité pendant la partie.

La plus grande satisfaction est venue de voir comment chaque élément graphique — des dés, des cartes, de la boîte au manuel — parvenait à transmettre ce sentiment d’authenticité et de cohérence thématique, rendant l’expérience de jeu plus immersive et attrayante.

De plus, travailler avec une équipe aussi passionnée que celle de Zacatrus nous a permis de trouver le parfait équilibre entre esthétique et fonctionnalité, adaptant l’image pour qu’elle soit accessible sans perdre l’identité distinctive du prototype.

Il convient également de souligner que j’avais déjà collaboré sur d’autres titres de l’éditeur, principalement en maquettant Aventura Z dans ses versions française et anglaise, ainsi qu’en apportant mon aide pour la mise en page de Monstervania.

5- Ton style a beaucoup de personnalité. Quels référents visuels ou culturels t’ont inspiré pour Kryptex ?

J’ai toujours été fasciné par la figure de Léonard de Vinci, ses inventions et son héritage artistique et scientifique. En fait, je possède une collection de textes anciens numérisés qui incluent des traités, des peintures et des croquis de sa main. Lorsque le projet Kryptex m’a été confié, j’avais initialement l’idée de développer un style steampunk. Cependant, après avoir analysé en profondeur l’esthétique que devait avoir le jeu, j’ai finalement opté pour un design inspiré de ces manuscrits anciens de Léonard, qui s’accordait mieux avec l’atmosphère et la thématique que nous voulions transmettre.

6- Comment ton expérience de photographe influence-t-elle ta façon de composer les illustrations et de diriger l’art d’un jeu ?

Pour moi, le design graphique est la base pour composer les illustrations et diriger l’art d’un jeu. Grâce à lui, on apprend à équilibrer les éléments visuels, à jouer avec l’espace, la couleur et la typographie pour que tout ait du sens, soit attractif, mais aussi fonctionnel.

La photographie m’a aussi apporté quelque chose, bien que dans une moindre mesure : elle m’a appris à faire attention à la lumière, au cadrage et aux petits détails, des éléments que j’applique parfois pour donner plus de vie ou d’impact aux images du jeu. En combinant ces deux choses, je parviens à créer des univers visuels qui ne sont pas seulement beaux, mais qui aident aussi à rendre l’expérience de jeu plus immersive et amusante.

7- Quel dirais-tu être ta marque personnelle en tant que directeur artistique ? Y a-t-il un élément que tu cherches toujours à incorporer ?

J’aime beaucoup tout ce qui se cache derrière les jeux, le processus créatif et leur construction. Sur Kryptex, j’ai eu assez de liberté créative, mais comme c’était un jeu d’un autre auteur, je ne pouvais pas trop m’écarter de ce qui avait déjà été imaginé ; ma tâche était de créer quelque chose qui complémente et renforce le jeu, qui était déjà finalisé et fonctionnait parfaitement. Je n’ai pas vraiment un style trop marqué ou un sceau très défini, je préfère m’adapter à chaque projet pour que le design s’accorde au mieux avec l’idée et le public.

8- Y a-t-il des détails cachés ou des références que les joueurs peuvent découvrir dans le design de Kryptex ?

Oui, il y a plusieurs détails cachés dans Kryptex que peu de gens connaissent. Par exemple, le texte en arrière-plan sur l’illustration de la boîte, qui à première vue semble être une signature incohérente, est en réalité basé sur le règlement du jeu, mais écrit en latin et avec une typographie inspirée des manuscrits de Léonard de Vinci, de plus il est inversé en miroir. Ce n’est pas lisible à première vue et jusqu’à présent, je suis le seul à connaître ce secret.

Quant à Arre Unicornio, il y a un clin d’œil personnel très spécial : les docteurs qui apparaissent dans le jeu sont basés sur des personnes réelles, comme mon associé Cere Venteo, ma femme Elisa et moi-même. De plus, le jeu a mis environ un an à être testé, et à l’origine il se déroulait dans un hôpital psychiatrique de la Seconde Guerre mondiale, avec un ton beaucoup plus sombre et lugubre que nous avons ensuite adouci pour le rendre plus amusant et accessible.

Je pense que ces petits détails enrichissent l’expérience et donnent à chaque projet sa propre identité et une connexion avec nous.

9- As-tu une autre curiosité à partager sur ton travail sur le jeu ?

Oui, une curiosité que j’aime raconter à propos de Kryptex est qu’au début j’avais clairement envie de lui donner une esthétique steampunk, avec des engrenages, des tons bleus et dorés, une atmosphère très mécanique et vintage. Cependant, après avoir approfondi l’idée et bien analysé le jeu, j’ai fini par opter pour un style beaucoup plus inspiré des manuscrits anciens de Léonard de Vinci, qui correspondait mieux à la thématique et à la sensation que nous voulions transmettre.

10- Hue Licorne ! est devenu l’un des jeux les plus vendus du moment en Espagne, avec plusieurs réimpressions. Comment as-tu vécu ce succès pour un jeu qui est né comme un projet de fin d’études ?

Ça a été une expérience incroyable et, honnêtement, assez inattendue. Hue Licorne ! est né comme un projet de fin d’études, quelque chose de très personnel et à l’origine assez modeste. Je n’aurais jamais pensé qu’il aurait un tel impact, ni qu’il deviendrait l’un des jeux les plus vendus actuellement. Voir sa croissance, avec plusieurs réimpressions – cette année, nous avons atteint la somme impressionnante de 50 000 exemplaires édités – et l’accueil très positif des joueurs, a été une grande satisfaction et une énorme source de motivation pour continuer à créer.

C’est émouvant de penser que quelque chose qui a commencé comme un simple travail académique ait pris vie propre. Sans aucun doute, ce succès montre que quand on fait quelque chose avec passion et dévouement, les choses peuvent dépasser même les attentes les plus optimistes. De plus, la distribution assurée par Zacatrus a été fondamentale pour toucher autant de joueurs. C’est génial de participer à des salons, mais ce qui me touche le plus, c’est quand, lors de rencontres avec des gens qui ne me connaissent pas, ils sortent le jeu de leur sac sans imaginer qu’ils ont devant eux l’auteur. C’est vraiment merveilleux.

11- Quel conseil donnerais-tu à un designer graphique qui veut se lancer dans le monde des jeux de société ?

Mon principal conseil est de beaucoup jouer, de s’imprégner du fonctionnement des jeux de l’intérieur, pas seulement du point de vue visuel, mais aussi de l’expérience qu’ils offrent. Comprendre les mécaniques et ce que ressent une partie t’aidera à concevoir avec plus de sens et de cohérence. Ensuite, ne pas avoir peur d’apporter ta vision personnelle ; le design graphique est fondamental pour créer l’identité et l’émotion, mais il faut aussi collaborer très étroitement avec les créateurs du jeu pour que tout s’accorde parfaitement. Enfin, patience et persévérance : c’est un secteur où le chemin peut être long, mais si tu es passionné, chaque effort en vaut la peine.

12- Quelque chose d’autre que tu voudrais nous raconter ?

Pour moi, chaque projet est une occasion de raconter des histoires sous un angle différent et surtout de connecter avec d’autres personnes à travers le jeu et l’art. J’adore que les jeux soient non seulement un divertissement, mais aussi un espace de réflexion et de créativité. Je suis très reconnaissant de pouvoir faire partie de cela et de continuer à explorer de nouvelles idées.

13- Quel autre jeu de société, que tu n’as pas conçu toi-même, peux-tu recommander pour sa qualité artistique ?

Un jeu que je recommande toujours est Mysterium, pour son atmosphère visuelle incroyablement soignée et son art rempli de mystère et de détails. C’est un excellent exemple de la manière dont l’illustration peut totalement te plonger dans l’expérience de jeu.

14- Où peut-on suivre ton travail ou participer à tes prochains projets ?

Le site web de l’éditeur et leur Instagram sont toujours ouverts : www.cerebrergames.es @cerebrergames

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